Les études de victimation sont édifiantes : entre 38,3 % et 59,2 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés ont été subis par des mineurs avant leurs 15 ans ; entre 27 % et 34 % avant que les victimes n'aient eu 10 ans. Il y aurait chaque année en France environ
150 000 viols et tentatives de viols sur mineurs. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche de l'enfant victime, une personne de confiance.
Ce sont là les chiffres noirs des violences sexuelles sur mineurs, dont nous savons qu'ils sont malheureusement en-deçà de la réalité : nous le mesurons avec les milliers de témoignages, médiatiques ou anonymes sur les réseaux sociaux, qui ne peuvent qu'ébranler les consciences.
Je voudrais d'abord témoigner à chaque victime mon plein soutien. Vous n'êtes pas seules. Aucune excuse ne peut justifier les agissements abjects de vos agresseurs.
C'est bien collectivement que nous nous devons de réagir pour les victimes. Ces crimes affectent en effet toute la société : ce sont nos enfants, ceux de la République, qui sont touchés. La courageuse libération de la parole à laquelle nous assistons doit servir le renforcement de la protection des enfants pour l'avenir. Nous savons combien cette libération coûte aux intéressés qui, pour diverses raisons, ne prennent parfois la parole qu'après la prescription des faits.
Dès 2018, nous avions par exemple prévu que la contrainte exercée lors d'un viol puisse être caractérisée par l'écart d'âge avec la jeune victime, afin d'en faciliter la preuve. Nous avons également repoussé le délai de prescription de vingt à trente ans à compter de la majorité du mineur victime : il sera en mesure porter plainte jusqu'à ses 48 ans. Nous avons, par la suite, voté l'aggravation des peines contre ceux qui consultent des sites pédo-criminels et prévu leur inscription au fichier des délinquants sexuels, leur rendant impossible de travailler au contact d'enfants.
Différents travaux parlementaires ont été menés depuis pour approfondir les questions constitutionnelles auxquelles nous nous sommes confrontés en 2018. Ces travaux aboutissent aujourd'hui à plusieurs propositions de lois, portées tant par la majorité que l'opposition et qui dessinent un consensus sur la nécessité de faire évoluer notre droit. L'une d'entre elles, présentée par le groupe socialiste à l'Assemblée a été débattue et adoptée par la commission des Lois ce mercredi. A mon sens, la meilleure de ces propositions sera celle qui aboutira le plus vite.
Concernant l'aspect pénal de la protection des mineurs contre les violences sexuelles, trois évolutions semblent se dessiner : d'abord la répression comme infraction autonome de tout acte sexuel sciemment commis par un majeur sur un mineur qui n'a pas encore 15 ans ; ensuite une répression accrue de l'inceste ; enfin l'interruption de la prescription concernant les crimes ou délits les plus anciens commis sur mineur, lorsque leur auteur a ultérieurement renouvelé ses agissements.
La première réforme envisagée repose sur l'idée qu'un enfant ne dispose jamais du discernement suffisant pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un adulte. Il s'agit de créer de nouvelles infractions – un crime en cas de pénétration et un délit dans les autres cas. À la différence du viol ou de l'agression sexuelle, ces infractions seraient constituées sans qu'il soit nécessaire de rechercher s'il y ait eu contrainte, dont la preuve est souvent difficile à rapporter. La loi fixerait un interdit, avec des exceptions pour les relations entre un très jeune majeur et un mineur de quinze ans.
Le deuxième type de mesure viserait, dans ce cadre, à mieux réprimer l'inceste qui n'emporte pas, dans le droit actuel, de conséquence sur le plan de la répression. Celui-ci devrait être considéré comme une circonstance aggravante. De surcroît, le juge pourrait retirer l'autorité parentale de l'auteur des faits comme pour les infractions de viol et d'agressions sexuelles,
La troisième évolution sur laquelle nous travaillons a pour objectif de faire obstacle à ce que les crimes ou délits les plus anciens commis sur mineur soient prescrits, lorsqu'ils sont commis par un pédo-criminel en série. Le jeu des prescriptions conduit aujourd'hui à ce que, dans une même affaire, certaines victimes puissent être parties civiles, tandis que d'autres, plus anciennes, ne peuvent prétendre à ce statut alors que l'auteur est le même. Nous avons donc introduit dans la proposition de loi adoptée en commission une mesure pour considérer que les différents crimes ou délits commis sur des mineurs par le même auteur présentent un lien suffisamment étroit entre eux pour interrompre la prescription des crimes ou délits les plus anciens.
La question de l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur des mineurs a été posée. Elle est légitime, mais j'y reste personnellement défavorable. D'abord, parce qu'il me semble, comme Robert Badinter, que cette imprescriptibilité doit symboliquement rester réserver, dans notre droit, aux crimes commis contre l'humanité toute entière. Ensuite, parce que l'imprescriptibilité, la possibilité de poursuivre éternellement une personne, emporte nombre de difficultés en matière de sécurité juridique, de dépérissement des preuves et de moyens d'enquête.
Le Gouvernement, auquel le Président a demandé de mener une concertation sur le sujet, s'est rangé cette semaine derrière les évolutions retenues par les députés. Je souhaite maintenant que ces mesures puissent continuer à être enrichies et qu'elles aboutissent, quel qu'en soit le vecteur législatif, au plus vite. La France doit, à mon sens, assurer le plus haut niveau de protection possible à ses enfants.