Encore un mercredi noir pour la Justice. Après le mouvement « Justice morte » de 2018, c’est « Justice malade » qui prend le relais cette année, malgré le bon déroulement des Etats généraux de la Justice lancés le 18 octobre dernier par le président, Emmanuel Macron.
Les juges ont tiré la sonnette d’alarme
Intitulée « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout », la tribune cinglante publiée le 23 novembre dernier dans Le Monde, à l’origine du mouvement est sans appel : elle demande davantage de moyens, matériels comme financiers, pour remettre sur de bons rails le système judiciaire exsangue.
Écrite par neuf jeunes magistrats à la suite du suicide d’une de leurs consœurs à bout de souffle, la tribune bouleversante dénonce les conditions de travail actuelles des juges. « C’est pourquoi nous, magistrats judiciaires, qui ne prenons que très rarement la parole publiquement, avons décidé aujourd’hui de sonner l’alarme. Autour de nous, les arrêts maladie se multiplient », peut-on lire.
En effet, pour les milliers de magistrats (5 476 sur 9 000 lundi 13 décembre), greffiers (1 583) et auditeurs de justice (493 élèves magistrats) qui l’ont signée, la Justice actuelle dysfonctionne, comme si elle avait déraillé.
La contestation a même gagné la Cour de cassation. Les magistrats de la plus Haute juridiction de l’ordre judiciaire ont, dans une rare prise de position, dénoncé « une justice exsangue, qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt des justiciables ». Rapidement rejoints par les avocats, ce train des professionnels en souffrance qui se soudent les coudes a donc rapidement appelé à la « Mobilisation générale pour la Justice ! ».
Le mouvement de grève du mercredi 15
Le mouvement a ainsi pris de l’ampleur. Un appel à la grève a été signé par 17 organisations lundi 13 décembre qui souhaitaient faire entendre leurs doléances et dénoncer les conditions indignes dans lesquelles elles exercent leurs missions d’intérêt général. Les deux principaux syndicats de magistrats (USM et SM) avaient déposé leur préavis — « une première » pour l’Union Syndicale des Magistrats (USM), majoritaire — et appelé, aux côtés de 15 autres organisations syndicales et professionnelles de magistrats, personnels de greffe et avocats à renvoyer « massivement » toutes les audiences.
« Pour montrer notre détermination commune à obtenir enfin les moyens propres à ce que la justice soit rendue dignement, nous appelons l’ensemble des magistrats à renvoyer toutes les audiences le 15 décembre prochain, et l’ensemble des professionnels de justice, avocats, fonctionnaires de greffe, contractuels, magistrats à participer à des rassemblements aux sièges des cours d’appel de leur ressort aux horaires qu’ils détermineront », annonçait le billet officiel du collectif.
Une délégation de l’intersyndicale a d’ailleurs été reçue à la suite de la mobilisation mercredi soir par Olivier Dussopt, le ministre chargé des Comptes publics, tandis que le garde des Sceaux a espéré le matin même sur France Inter qu’il n’y ait « pas d’instrumentalisation » dans ce mouvement qui intervient dans un contexte pré-électoral alors qu’il y a « vingt ans d’abandons humains et budgétaires », irritant une partie des manifestants.
Dans la capitale, la mobilisation a eu lieu à Bercy mercredi à midi, devant le ministère de l’Economie et des Finances afin de marquer symboliquement le besoin de moyens de la Justice, « problématique totalement évacuée tant du discours ministériel que des Etats généraux de la Justice », selon les manifestants. En région, de nombreux manifestants se sont réunis devant leur palais de justice.
Audiences nocturnes et manques de moyens criant
Le diagnostic est posé. La Justice actuelle est « malade », « exsangue », « à bout de forces » ou même « en burn-out ».
« Il faudra inventer d’autres moyens pour rendre la justice car la justice n’en peut plus », a lancé la présidente de l’USM, Céline Parisot, à une foule de robes noires et rouges en colère.
Cette mobilisation est « le reflet d’une grave crise institutionnelle », a estimé Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF) qui réclame « des moyens, des moyens, encore des moyens ».
« On a un manque de moyens matériels et humains qui ne fait que s’aggraver au fil des années. On n’arrive plus à absorber. Tout ça tient grâce à la conscience professionnelle des gens, mais ils n’en peuvent plus », a témoigné à l’AFP Catherine, greffière à Paris.
« Justice épuisée, justiciables en danger », « Qui veut être jugé après minuit ? », « J’ai honte de ma Justice »,
« Justice sacrifiée, citoyens méprisés », « Misère judiciaire, mensonges du ministère », « Au secours, le parquet prend l’eau », dénonçaient les pancartes brandies devant Bercy et différents palais de justice en province, à l’occasion de cette journée de mobilisation inédite du monde judiciaire à bout de souffle.