En novembre dernier, vous disiez craindre un vrai ralentissement au premier semestre 2021. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Fabien Daurat : Globalement, l'activité reste soutenue. Mais la grande inquiétude que nous avions sur le premier semestre s'est décalée sur le second semestre, notamment sur le neuf. Nous enregistrons –32 % de mises en chantier dans ce secteur.
Mais l'activité de rénovation, intérieure et énergétique, reste très soutenue, grâce au plan de relance et à MaPrimeRénov. Maintenant, ce que l'on craint, c'est le ralentissement lié à la pénurie de matériaux.
Que redoutez-vous exactement ?
F. D. : Nous craignons deux choses. D'abord, la hausse des prix, qui a un impact majeur et direct sur les marges et sur les hauts de bilan. On est dans de l'exploitation pure. Ce qui fait qu'aujourd'hui nous avons, globalement, des augmentations sur tous les matériaux. Ce ne sont pas des petites augmentations Par exemple, les isolants par l'extérieur en polystyrène, clairement visés dans le cadre du plan de relance, de la rénovation énergétique et de MaPrimeRénov, ont pris 48 % d'augmentation au 1er mai. Les prix affichent également +4 % pour l'aluminium, +6,5 % pour le triptyque plomb-zinc-étain, +10,3 % pour le cuivre, et jusqu'à 30 ou 40 % sur certains produits acier.
C'est une quasi-certitude, nous n'allons pas réussir à répercuter les prix sur les marchés privés déjà signés. Concernant les marchés publics, j'ai saisi le préfet pour que nous puissions obtenir une révision des prix. J'ai également alerté les sénateurs et les députés de l'Essonne sur cette “ menace d'une hausse incontrôlée du coût des matériaux“. A ce jour, seuls deux parlementaires m'ont répondu. Le sénateur Jean-Raymond Hugonet d'abord, en indiquant qu'il était conscient de la problématique et qu'il la soulèverait au Sénat. J'ai aussi reçu une réponse de la part de la députée Marie Guévenoux, qui a saisi le ministre de l'Economie suite à notre courrier.
Mais les industriels, de leur côté, n'hésitent pas à répercuter la hausse des prix. L'activité d'isolation thermique par l'extérieur, importante dans le cadre du plan France Relance, connait 50 % d'augmentation sur 30 % du coût d'achat des matériaux. Vos marges sont rognées de 15 points ! Or, une entreprise du bâtiment gagne entre 1 % et 3 % de résultat net en fin d'année. Je vous laisse imaginer la tournure que vont prendre les bilans si ces augmentations se poursuivent. Les entreprises vont avoir du mal à faire face. Des défaillances pourraient survenir.
Le deuxième point qui nous inquiète, c'est la pénurie de matériaux. Nous subissons une double peine : l'augmentation du prix des matériaux, qui, en plus, se font rares. Nous craignons une baisse importante d'activité et donc des chiffres d'affaires. Il n'y a plus de bois, ni de peinture, ni d'acier, ou alors à des prix exorbitants. La pénurie de bois devrait durer jusqu'en décembre prochain, alors nous sommes sollicités pour des constructions biosourcées. Cela va compliquer l'avancement des chantiers des chalets pour les JO de Paris. De la même manière, on nous annonce depuis quelques jours une pénurie sur les polystyrènes, qui devrait s'étaler sur quatre à cinq mois. Nous n'arrivons plus à produire de chantiers de peinture, la pénurie ayant aussi touché la résine époxy. Nous sommes vraiment dans une situation chaotique. Il faut s'avoir qu'en Rhône-Alpes, certaines sociétés ont déjà activé le chômage partiel du fait du manque de production. C'est dramatique.
J'ai eu la confirmation auprès des autorités régionales que nous aurions droit au chômage partiel si l'activité devait s'arrêter du fait d'un manque de matériel. C'est plutôt une bonne nouvelle, même si les entreprises préfèrent produire plutôt qu'obtenir des aides.
D'autant que le BTP est un pilier de l'économie ?
F. D. : Oui, c'est une locomotive de l'industrie française, qui est touchée, elle aussi. Je suis également vice-président industrie de la CCI 91 et je peux vous dire qu'aujourd'hui, tous les composants informatiques sont en pénurie. Nous commençons à ne plus pouvoir produire de pompes à chaleur, ce qui va impacter les chauffagistes. De la même façon, des usines de fabrication de voitures, notamment Peugeot, sont à l'arrêt par manque de composants. C'est très préoccupant.
Quelles sont les solutions ?
F. D. : Il n'y en a pas vraiment. Il n'est pas possible d'acheter ailleurs. Nous allons devoir arrêter l'activité le temps de nous réapprovisionner.
Sur le sujet de la hausse des prix, l'État doit faire son travail et imposer une révision des prix, au moins sur les marchés publics. La Fédération du bâtiment demande à ses adhérents d'être très prudents dans l'élaboration des devis, en insérant des clauses de révision des prix. Nous sommes dans le flou total. Les prix peuvent par exemple varier de 5 % à 500 % pour les résines époxy.
J'ai lancé une enquête départementale la semaine dernière pour connaître l'impact sur l'activité. Nos adhérents nous appellent déjà, ils sont inquiets. Certains gros fabricants de peinture sont déjà en train de fermer des agences parce qu'ils n'ont plus rien à vendre.
Nous avons déjà vécu des crises financières, des ralentissements de l'activité, mais de telles pénuries de matériaux, nous n'en avons jamais vécu. C'est inédit.
Cela provoque des dégâts en cascade ?
F. D. : Oui, mais ce qui est embêtant, c'est que nous n'avons aucune visibilité sur le retour à la normale. Les économistes de la Fédération du bâtiment tablent sur cinq à six mois de difficultés, de tensions sur les marchés, avec, bien sûr, des variations. C'est important.
Nous allons être forcés d'augmenter nos devis. Les maîtres d'ouvrage privés et publics pourraient décider de décaler à l'année prochaine les projets, pour s'assurer ne pas payer aujourd'hui le prix fort. Cela pourrait aussi créer un fort ralentissement de la demande chez les particuliers. Cela se ressentira un peu moins du côté des marchés publics.
Où en sont, justement, ces marchés publics, pour lesquels vous aviez également alerté les Pouvoirs publics ?
Il ne se passe pas grand-chose en Essonne, comme au niveau national. On se rend compte que les collectivités locales annulent des projets qui étaient déjà dans les cartons, pour pouvoir les voter à nouveau et les intégrer dans le plan de relance. Finalement ce plan va servir à financer les collectivités locales qui étaient déjà exsangues de trésorerie, sans pour autant contribuer à créer un surplus d'activité. Cette activité risque, de surcroit, d'être décalée en 2022-2023…
Vous avez, parallèlement à ces alertes, demandé une vaccination de masse des ouvriers ?
F. D. : Oui, j'ai demandé un plan de vaccination de masse pour la fameuse deuxième ligne. Nos salariés sont tous au contact du grand public. Ils sont très proches les uns des autres sur les chantiers. J'entends qu'il faudrait prioriser certaines professions. Pourquoi favoriser les uns par rapports aux autres ? Nous nous retrouvons avec des tensions terribles sur le personnel au sein des entreprises, parce que les cas contacts et les malades se multiplient.
Cela provoque, là aussi, des baisses d'activité. Donc nous demandons que nos salariés soient aussi vaccinés en priorité. On nous dit, et à juste titre, que le bâtiment est un maillon essentiel de l'économie. Allons jusqu'au bout, vaccinons en masse les ouvriers du bâtiment, pour que nous puissions travailler dans de bonnes conditions et respecter nos plannings. La seule réponse qui m'ait été donnée par les autorités, c'est qu'il faut respecter le protocole en place…
Vous avez évoqué quelques points-clés pour l'activité des mois à venir. Quels sont les points positifs à noter malgré tout ?
F. D. : Je l'avais déjà dit en novembre dernier, c'est le plan de relance, avec les 7 milliards d'euros fléchés sur le bâtiment. C'est de bon augure. Mais cela ne suffira pas, et il faut voir comment c'est utilisé. Il faudrait également que la pérennité de MaPrimeRénov soit garantie. J'ai peur que nous nous heurtions à des problèmes dans la mise en œuvre du financement, suite au succès de l'opération auprès des ménages. Nous espérons que ce dispositif va continuer à soutenir les marchés.