Pourquoi avez-vous créé la FCI ?
Claude Cazes : L’idée a émergé suite à la loi Pacte qui a supprimé le commissariat aux comptes dans les petites entités. Selon nous, cette nouvelle réglementation va engendrer la disparition des plus petits cabinets de commissaires aux comptes, puisqu’ils travaillent essentiellement avec les petites entreprises, donc on pressent une évolution du marché vers plus de concentration.
Toutefois, entre les grandes firmes et les petits cabinets d'audit, on estime qu'il existe une véritable place pour les cabinets intermédiaires. Vu les grandes évolutions auxquelles fait face notre profession, qu’elles soient technologiques ou législatives, on a pensé pertinent que ces cabinets se regroupent pour avoir une influence qu’ils n'ont pas jusqu’ici parce qu'ils n'étaient pas spécifiquement représentés. L’objectif est donc d’identifier et promouvoir ces cabinets intermédiaires d’audit en France et de se concentrer sur la pérennité de leurs activités.
« L’objectif de la FCI est d’identifier et promouvoir les cabinets intermédiaires d’audit »
Comment qualifiez-vous les cabinets intermédiaires ?
C. C. : Les cabinets intermédiaires sont ceux qui sont à mi-chemin entre les Big four et les grandes PME, qu'on appelle les ETI comptables. Plus concrètement, ils font plus de 5 millions d'euros de chiffre d'affaires et jusqu'à 100 000 millions à peu près, et emploient entre 50 à 2 000, voire même 3 000 collaborateurs.
Ce qui les caractérise est qu’ils ont souvent plusieurs bureaux dans différents territoires et sont plus régionaux que les grandes structures, avec une implantation forte auprès de l’écosystème économique territorial. Et contrairement aux grandes firmes, ils ont quasiment tous un département d’expertise comptable.
Leur clientèle est faite d’ETI de leur territoire, d’entreprises cotées ainsi que de plus petites sociétés. Les grands groupes du CAC 40 sont accompagnés par les Big ce qui est tout à fait logique. La FCI n’est ni en opposition, ni en contradiction avec les grandes firmes d’audit. Nous sommes comme le Medef avec l’Afep et le Meti (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire, anciennement ASMEP-ETI, syndicat des ETI créé en 1995, ndlr).
Quelles actions a pu mener la fédération lors de la première année ?
C. C. : C'est d'abord le choix de mener une action uniquement de lobbying. Notre but n’est pas de remplacer les institutions ou d’en créer une plus car le Conseil supérieur des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes font très bien leur travail. Nous souhaitons avoir directement accès aux lieux de pouvoir que sont les ministères, les régulateurs et les entreprises.
On a déjà eu des dizaines de rencontres et, je peux le dire de la façon la plus sincère qui soit, avec toujours un très bon accueil.
Notre lobbying passera notamment par la promotion et la reconnaissance de la qualité de la certification réalisée par les cabinets de taille intermédiaire afin qu’ils puissent avoir un accès plus facile aux grands appels d’offres, ainsi que par la défense du co-commisariat qui oblige les entreprises de plus de 250 salariés à avoir deux commissaires aux comptes afin d’assurer leur indépendance. Les cabinets de taille intermédiaire sont très présents sur ce marché de l’audit conjoint puisque les grandes entreprises prennent souvent un CAC d’une grande firme et un autre d’un cabinet intermédiaire qui se partagent la mission.
Le succès est-il au rendez-vous ? Êtes-vous satisfaits du nombre d’adhérents ?
C. C. : Tout à fait ! Du côté des adhérents, nous sommes satisfaits, même s’il en faudrait davantage. On n'a pas encore assez travaillé sur les recrutements. On estime qu’il y a environ 250 cabinets de taille intermédiaire et que nous en avons réuni presque la moitié.
Le succès est d'abord sur l'accueil qu'on a eu auprès des acteurs économiques comme nos ministères de tutelle, le Trésor, les syndicats patronaux et les organisations publiques ou parapubliques qui ont affaire à la profession comptable.
Comment avez-vous été reçus par les institutions de la profession ?
C. C. : Plutôt bien parce que nous ne sommes pas un syndicat de plus et que notre objectif n’est pas d’aller perturber le fonctionnement du Conseil supérieur et de la CNCC. Après, sur le plan politique, les institutions pensent à juste titre qu'elles représentent tout le monde donc on a été poliment reçu même si on ajoute quand même un acteur de plus dans les discussions avec les ministères.
Mais pour tout vous dire, on a quand même instauré avec ces deux institutions une rencontre trimestrielle pour évoquer ensemble tous les sujets du moment, ce qui est très bien car on a décidé de se dire les choses avant d’intervenir auprès des Pouvoirs publics.
Vu notre poids économique, il me semble que la CNCC et le CSOEC auront à cœur de répondre à nos demandes et de porter certaines de nos doléances.
Suite à la hausse des seuils d’audit légal, les cabinets intermédiaires ont-ils pu conserver un nombre de mandats suffisants auprès des ETI et des PME pour pouvoir survivre ?
C. C. : Nous sommes au milieu du gué puisque la hausse des seuils est effective sur six ans, le gouvernement ayant accepté que les mandats en cours se terminent avant de ne pas être renouvelés. Pour l'instant, on peut considérer que la perte des mandats est de l'ordre de 60 %, même si je suppute que ce taux sera un peu plus fort sur les trois ans à venir. C’est donc une perte considérable.
Les entreprises ayant déjà les services de leur expert-comptable, il n'est pas toujours facile pour elles de voir l'intérêt de garder ceux du commissaire aux comptes. Elles conservent souvent leur mandat uniquement lorsqu'il y a un fonds d'investissement minoritaire, des associés minoritaires, ou encore des projets de développement via de la croissance externe ou des demandes de financement, car elle se disent que c'est toujours mieux d'avoir des bilans certifiés.
Ne pensez-vous pas que la crise peut-être un atout pour les CAC qui peuvent servir de tiers de confiance en certifiant les bilans comptables des entreprises en cette période instable ?
C. C. : Effectivement, et c’est d’ailleurs le discours que la CNCC est en train de communiquer. En revanche, ça se fait avec les partenaires économiques et nous n'avons pas encore réussi à intéresser réellement les banques sur la présence de comptes certifiés. Et pourtant, nous essayons depuis des années vous savez, je suis passé par là lorsque j’étais président de la Compagnie.
Les cabinets de taille intermédiaire se positionnent-ils sur les nouvelles missions d’audit ou les laissent-ils aux BIG 4 ?
C. C. : Pour compenser la perte de mandats liée à la hausse des seuils, le Gouvernement et la Compagnie ont en effet imaginé de nouvelles missions qui pourraient être réalisées par les cabinets d’audit dans les entreprises, comme l’audit RGPD et l’examen de conformité fiscal par exemple. Pour le moment, elles se développent très peu car elles ont été imaginées de toute pièce sans véritablement partir des besoins des entreprises, qu’elles sont très techniques et que d’autres acteurs sont déjà sur ces secteurs.
Pour l'instant, elles ne sont donc pas de nature à remplacer la perte des mandats selon moi, même si elles rentrent évidemment dans les stratégies de développement et de diversification des cabinets intermédiaires depuis plusieurs années, avant même la loi Pacte. Ces nouvelles missions représentent donc assez peu de choses.
En revanche, l'enjeu pour les cabinets intermédiaires par rapport aux grandes firmes d'audit, se trouve au niveau de la maîtrise de la data car l'audit évolue vers la gestion, le contrôle et le pilotage de l'ensemble des milliers de données qu'on peut trouver dans les grandes entreprises. n