«2021 sera, nous l'espérons, moins compliquée que l'année 2020, qui avait pourtant commencé sur les chapeaux de roues. Nous avons évité le pire... Nous voulons éviter le “stop and go” », a lancé Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Île-de-France, très heureux d'accueillir le médiateur national des entreprises. « Son expérience, son expertise nous est indispensable dans la crise qui met en péril les petites et les moyennes entreprises », a-t-il poursuivi.
Le rôle du médiateur national des entreprises
« Notre mission, c'est de créer du lien, du dialogue, de la confiance entre les acteurs économiques qui sont en difficulté, justement à travers des outils de dialogue, de solidarité économique, de changement de comportement », a expliqué Pierre Pelouzet.
Deux types de médiateurs existent. Il peut s'agir d'agents de l'administration, implantés partout dans les régions (à la Direccte, par exemple). Ils sont formés à la médiation, qui constitue une partie de leur activité. Il peut également s'agir de bénévoles (anciens juges consulaires, cadres dirigeants, etc.). « Toute cette équipe de 80 médiateurs est à votre disposition pour résoudre ces sujets de rupture de contrat, de retard paiement, de baux commerciaux, même si bien sûr nous travaillons aussi sur d'autres problématiques », a assuré le médiateur national des entreprises. Après saisine de l'une des deux parties, le médiateur va s'efforcer de trouver une solution en organisant plusieurs rendez-vous. Le taux de succès est de 75 %.
« Nous avons vu tout de suite l'impact de la crise », a confié Pierre Pelouzet. Le service est passé de 60 sollicitations par semaine à quelque 600 sollicitations la troisième semaine de mars (le comptage est effectué à partir des deux boutons “saisir le médiateur” et “questionner le médiateur” du site internet). « Nous avons vu arriver un tsunami de questions et la source ne s'est pas tarie jusqu'à l'été », a confié le spécialiste, indiquant que trois sujets étaient revenus en particulier.
D'abord, les retards de paiement, « avec parfois même des blocages de paiement pendant le premier confinement, qui ont mis en difficulté beaucoup d'entreprises ». Ensuite, celui des baux commerciaux, un sujet « loin d'être terminé », selon Pierre Pelouzet. Et enfin, celui des ruptures de contrats. « Des contrats pourtant en bonne et due forme et qui s'étalaient sur plusieurs mois, ou années, étaient interrompus, ou alors les quantités étaient divisées par deux en quelques jours ».
Si l'été a été plus calme, Pierre Pelouzet a relevé au mois d'août deux fois plus de saisines qu'au mois de janvier 2020. Un calme relatif donc, ce huitième mois étant habituellement tranquille. « Les demandes sont en recrudescence depuis la rentrée. Nous ne sommes plus dans les mêmes niveaux que mars-avril, mais trois ou quatre fois au-dessus de la normale. Le niveau reste très élevé », a-t-il précisé, indiquant avoir été impressionné par la capacité de résilience des entrepreneurs.
La confiance devra régner
« Comme le suggère le titre de ce webinar, nous allons avoir besoin de solidarité. Petit à petit les aides d'Etat vont diminuer, la vraie vie va reprendre le dessus, et l'argent ne vient pas de l'Etat mais des clients », a ensuite rappelé Pierre Pelouzet.
« Si les sujets de paiement de facture, voire même d'avance ou d'accélération des bons de commande, voire de solidarité, c'est-à-dire d'écoute des fournisseurs, ne sont pas pris en compte, ce sera difficile », a-t-il tenu à préciser. De sorte que « si toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, jouent le jeu et que des outils comme le financement du bon de commande, l'affacturage inversé, les avances, ou les commandes accélérées sont utilisés, alors nous avons une chance de nous en sortir tous ensemble ».
L'enjeu, pour Pierre Pelouzet, est donc de « réfléchir à tout ce que nous pouvons faire ensemble pour que le monde économique prenne le relais de l'Etat et reparte normalement ».
L'état d'esprit des entrepreneurs
Interrogé par Benjamin Darmouni, vice-président de l'Unis Île-de-France, sur la peur des dirigeants, Pierre Pelouzet a assuré que l'explosion des demandes de médiation n'était pas en tous points un indicateur négatif.
« L'outil est fait pour répondre à ce besoin de dialogue, je suis heureux que les dirigeants aient eu ce réflexe : ils ne sont pas allés au tribunal, ils n'ont pas abandonné, c'est très positif », a-t-il salué, indiquant avoir trouvé les chefs d'entreprise plus combatifs, malgré les difficultés et les disparités sectorielles. Certains secteurs, comme le numérique, la pharmaceutique s'en sortant bien, contrairement à l'événementiel, au tourisme et aux transports. « Même ceux qui vont moins bien ne sont pas si pessimistes que cela, ils s'accrochent. Des restaurateurs me disent qu'au final, avec la vente à emporter, le chômage partiel et le fonds de solidarité, ils arrivent à l'équilibre, tout en conservant leurs clients. Ce sont de vrais entrepreneurs qui ont envie de se battre ».
Quand les difficultés s'accumulent et que les dirigeants n'ont plus la force de lutter, l'Apesa et le Portail du rebond prennent le relais. « Heureusement, c'est une minorité, mais il faut en être conscient et les orienter vers les bonnes personnes », a tenu à préciser Pierre Pelouzet.
Les délais de paiement
« Evidemment, les retards de paiement, c'est un de nos gros sujets. D'après les études de l'observatoire des délais de paiement, nous étions sur un plateau de 10-11 jours de retard début 2020, ce qui n'est pas mal puisque nous étions auparavant sur 13-14 jours. Puis en mars-avril-mai, tout a flambé pour atteindre 20 à 30 jours et certaines entreprises n'ont plus payé du tout pendant un mois ou deux », a témoigné Pierre Pelouzet. Problématiques organisationnelles (télétravail), défaut de trésorerie, inertie... les raisons ont été diverses. Et depuis, le niveau n'est pas redescendu en-dessous de 13 à 14 jours. « On pourrait dire que c'est négligeable, mais en vérité, cela représente un milliard par jour, une somme qui devrait être dans les caisses des PME au lieu de rester dans celles des clients, et cela se ressent », a-t-il expliqué.
Il ne s'agit pas dans ce cadre, pour le service de médiation des entreprises, de faire du recouvrement, mais bien de tenter de recréer le dialogue avec le client, pour maintenir le lien commercial en obtenant malgré tout le paiement de la facture.
Les grandes entreprises publiques et privées ayant montré des difficultés pour payer les PME, Pierre Pelouzet a créé, avec la Banque de France, un comité de crise sur les délais de paiement, qui a été rejoint ensuite par l'ensemble des acteurs économiques français. « Nous leur avons demandé de nous faire remonter tous les cas structurants de gros acteurs publics ou privés qui avaient du mal à payer. Nous avons eu une quarantaine de cas, ce qui n'est pas négligeable pour des entreprises qui achètent en milliards d'euros. Je suis intervenu sur ces cas, pour les inviter à corriger le problème. L'impact a été considérable, nous avons vu les comportements changer quasiment du jour au lendemain pour certains acteurs », s'est remémoré Pierre Pelouzet, indiquant que ce genre de signalement avait disparu depuis l'été.
« Nous avons au moins corrigé le tir au sujet de ces grands groupes, ce qui ne veut pas dire que nous n'avons pas de retards de paiement, mais que désormais nous pouvons les traiter au cas par cas », a-t-il expliqué, ajoutant que la DGCCRF pouvait aussi sanctionner ces entreprises défaillantes.
A noter également, les entreprises publiques ont été plutôt vertueuses en la matière. « D'habitude nous avons un tiers de médiations privé/public, or l'envolée que j'ai décrite a plutôt touché des médiations entre acteurs privés », a confié Pierre Pelouzet.
Ne pas altérer la relation avec le bailleur
Concernant le sujet des baux commerciaux, qui occupe près de 20 % des médiations, Pierre Pelouzet a assuré que des solutions pouvaient être trouvées. « Le bailleur n'a pas intérêt à perdre son commerçant et le commerçant n'a pas non plus intérêt à fâcher son bailleur pour quitter sa boutique dans les mois qui suivent. Chacun arrive avec une capacité à négocier, nous avons des outils de part et d'autre, comme le crédit d'impôt mis en place par l'Etat et le fonds de solidarité. Cela permet de trouver un équilibre, mais il n'y a pas deux solutions qui se ressemblent », a finalement expliqué Bernard Pelouzet.
« Nous avons créé une cellule de crise pour les dirigeants, qu'ils soient adhérents ou non, joignable au 01 56 89 09 30. N'hésitez pas à nous appeler, si les dossiers sont brûlants nous les transfèrerons à la médiation des entreprises en toute confidentialité », a conclu Bernard Cohen-Hadad. n