Président de la Chambre d’agriculture d’Île-de-France, Christophe Hillairet exploite une ferme de 215 hectares à Ablis, dans le sud des Yvelines. Il cultive notamment de l’orge, du colza et des betteraves. Avec les biodéchets issus de son exploitation, Christophe Hillairet produit aussi du biogaz par méthanisation. Il est, par ailleurs, apiculteur. Alors que le Salon de l’agriculture (SIA) se tient jusqu’au 5 mars, Christophe Hillairet revient sur les problématiques auxquelles font face les agriculteurs, notamment nourries par des « injonctions contradictoires ».
Que représente le SIA aujourd’hui, après des années de crise ?
Christophe Hillairet : 2022 a été une année classique pour le salon. Simplement, c’est une vitrine sur l’extérieur. Le nombre de participants est de plus en plus restreint, on y trouve surtout ceux qui commercialisent directement leur production, qu’elle soit transformée ou non. Il s’agit plutôt des exploitations de type viticulture, etc. Nous avons aussi, traditionnellement, les concours animaliers.
C’est un peu la ville à la campagne…
C.H. : Je parlais de vitrine, parce qu’il s’agit d’une reconstitution destinée aux urbains, dans le sens où, dans la vraie vie, vous ne traversez pas une étable en souliers vernis. Ce n’est pas tout à fait une ferme au sens propre du terme, bien sûr.
Qu'attendez-vous de cette nouvelle édition ?
C.H. : Que nous soyons enfin entendus, parce que nous recevons en permanence des injonctions contradictoires. On nous demande de produire mieux, mais moins. Le consommateur-citoyen veut des produits de très bonne qualité, mais pas chers. Dans le même temps, on importe des produits non normés comme des OGM du Brésil ou des blés traités au DDT, qui est interdit en France depuis 20 ans. Nous sommes d’accord pour produire le plus proprement possible, mais nous voulons vivre de notre métier.
Vous évoquiez la qualité. Cela rejoint la problématique du bio…
C.H. : Tout le monde voudrait aujourd'hui que nous produisions en bio. Sauf que le marché du bio s'est effondré de quelque 20 % ces sept ou huit derniers mois, à partir du moment où les prix ont augmenté. Il faut, à mon sens, arrêter les politiques de gribouille. En Île-de-France, il y a 500 hectares de déconversion bio, car la production ne se vend pas. Faire croire que le bio sera moins cher ou au même prix que l'agriculture conventionnelle est une utopie. C’est “ok“ quand vous êtes un “bobo“ parisien, mais pas quand vous vivez dans une HLM à Sarcelles ou à Bobigny. Une fois que vous avez payé votre loyer, il vous reste seulement de quoi vous acheter une nourriture bas de gamme.
Quels sont les autres enjeux de l’agriculture en Île-de-France ?
C.H. : La question du renouvellement des générations va se poser, parce qu’environ 50 % des agriculteurs ont actuellement plus de 55 ans. Ce qui veut dire qu’il va falloir installer énormément d’exploitants dans les années qui viennent. Alors évidemment, ils viendront du secteur agricole, mais pas que. On aura aussi des gens qui auront envie, à un moment donné, de pratiquer une activité agricole et qui voudront s'installer. Nous sommes fin prêts à les accueillir demain, dans nos exploitations, et à les céder, pour que des gens les reprennent.
La relance de l'élevage est un autre enjeu. Sur le sujet, le scandale le plus emblématique nous est venu des Yvelines. Un exploitant du département a récemment commencé à installer des vaches dans sa ferme - bio qui plus est -, après trois années de bataille judiciaire contre certains de ses riverains. Ces derniers lui ont récemment envoyé, aux dires de son avocat, une lettre d’intimidation pour qu’il y renonce…
L’économie d’espace est un autre enjeu important en Île-de-France. Nous ne sommes pas sur des territoires extrêmement vastes, comme aux Etats-Unis. Aussi, lorsque nous consommons énormément de terre pour l'urbanisation et le développement économique, ce sont autant de potentialités nourricières qui disparaissent.
La récente interdiction des néonicotinoïdes est un autre cheval de bataille ?
C.H. : Nous sommes extrêmement inquiets sur le devenir industriel de la betterave. 20 à 25 % des planteurs désirent arrêter la production. C'est autant de betteraves qui ne rentreront pas dans la fabrication de sucre et qui ne feront pas tourner nos usines françaises.
Il est question de compensations financières…
C.H. : L’intention du ministre de l’Agriculture est bonne, la mise en pratique est différente. Il ne dispose pas du véhicule juridique pour agir. Le droit européen empêche de distribuer des compensations de ce type-là aux agriculteurs. Mais cette solution n’est pas viable. Il n’est pas possible d’imaginer qu’en cas d’attaque de pucerons et de jaunisse, on ne produise plus de sucre et que l’on paie les gens à ne rien faire dans les champs et dans les sucreries. Quand vous êtes agriculteur, vous ne produisez pas pour vous faire indemniser, mais pour nourrir la population. Je ne suis pas un pro-néonicotinoïdes, mais il aurait été plus judicieux de mettre de l'argent sur la recherche pour trouver des solutions génétiques et permettre à la betterave de résister à la jaunisse. Les Hongrois, les Polonais, les Espagnols notamment vont continuer avec les néonicotinoïdes, pendant que la moitié de l'Europe fait un bras d'honneur aux directives européennes. Nous, on reste le petit doigt sur la couture du pantalon. Ce n’est pas grave, on importera le sucre de ces pays-là…
Comment gérez-vous la crise énergétique ?
C.H. : C’est très compliqué. Moi, j’ai besoin d'énergie pour la fabrication d’engrais, mais ils proviennent de Biélorussie et de Russie à 80 %. Je ne vais pas vous faire de dessin concernant la difficulté pour s’en procurer et donc produire, parce que sans engrais on ne produit rien ou quasiment rien.
Si je prends un autre exemple, celui du méthaniseur, nous avions tablé, avec mes associés, sur une facture d'électricité de 80 000 euros, mais je suis à 320 000 euros à l’année ! Ce prix, nous sommes obligés de le répercuter sur les consommateurs.
Où en est l’épidémie de grippe aviaire ?
C.H. : La situation est très limite. Pour l’instant, nous avons un nombre important de foyers dans la région. Les élevages ne sont pas encore touchés, il s’agit pour l’instant d’oiseaux retrouvés morts dans les zones où se trouvent des eaux stagnantes. Nous sommes bien conscients qu’il faut mettre en place des mesures de biosécurité pour éviter la transmission aux élevages, mais nos outils ne sont pas adaptés. Le problème, c’est que les éleveurs ont été contraints de transformer leurs bâtiments, parce qu’on leur a demandé de sortir les élevages. Aujourd’hui, il n’est plus possible de les cloitrer, puisque les éleveurs disposent simplement d’abris pour rentrer les animaux la nuit et les protéger des intempéries.
Nous ne sommes pas à l’abri d’un scénario catastrophe ?
C.H. : Le scénario catastrophe a déjà existé au niveau national. Personne ne le dit, mais l’an passé, cette crise a coûté 1, 2 milliard d’euros en indemnisations avec des centaines de milliers de canards et de poules abattus dans des région comme la Bretagne et le Pays de la Loire. C’est absolument considérable.
Le stockage de carbone peut-il être un remède au réchauffement climatique ?
C.H. : Nous pensons que c’est une opportunité pour le monde agricole. C’est clairement l’avenir, car nos exploitations sont le seul puits de carbone naturel. Concrètement, quand vous récoltez une culture de blé, si vous installez derrière une culture de piège à nitrates, du CO2 va être capté et stocké dans le sol. Notre objectif, aujourd’hui, c'est donc de démarcher les entreprises, qui ont une obligation de compensation carbone, pour leur proposer des solutions à proximité de chez elles. D’autant que les diagnostics ont été homologués par le ministère de la Transition écologique. Ce n'est plus qu'une question de semaines. Si les agriculteurs peuvent faire évoluer leurs pratiques et se faire rémunérer, c’est positif. Nous avons d’ailleurs tout intérêt à endiguer le changement climatique. Il ne faut pas oublier que le monde agricole est la première activité impactée par ce bouleversement.