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Yvelines

« Il y a une résistance terrible à payer pour le recyclage »

Alexandre de Villers, fondateur de l’entreprise Les Recycleurs des Mureaux, explique, au lendemain de la Semaine du recyclage, l’engagement des entreprises dans ce domaine.
« Il y a une résistance terrible à payer pour le recyclage »
© Adobe Stock

Société Publié le , Propos recueillis par Laura OUVRARD

Quel a été votre parcours jusqu’à la création des Recycleurs des Mureaux ?

Alexandre de Villers : J’ai fait la majeure partie de ma carrière dans l’industrie pharmaceutique. Je me suis ensuite lancé dans le domaine du recyclage. Cela avait plus de sens pour moi, étant donné l’état de la planète. J’ai donc monté les Recycleurs des Mureaux en 2015, avec l’ambition de faire de l’insertion. Idée que j’ai vite abandonée, car l’insertion est un métier qui n’est pas le mien. Je fais donc plutôt travailler des entreprises d’insertion quand j’ai besoin de personnel, mais que je n’en fais pas moi-même. J’interviens actuellement sur toute l’Île-de-France.

Comment avez-vous commencé votre activité ?

A. de V. : J’ai commencé avec le papier. La France a un retard terrible par rapport à ses voisins européens sur ce type de recyclage. Le marché est immense mais, étant donnée la taille de mon entreprise, ma stratégie a été de travailler avec les PME. Nous fonctionnons par abonnement, c’est-à-dire que je mets en place un système de récupération régulière qui permet la fidélisation de nos clients.

Le papier est traité dans un “Établissement et service d’aide par le travail” (Esat), à Mantes-la-Ville. L’industrie papetière est très désireuse de papier blanc et pourrait intégrer beaucoup plus de papiers recyclés dans sa fabrication qu’aujourd’hui, mais elle n’a pas le gisement à disposition. Le taux de recyclage en France est aujourd’hui, très loin des autres pays européens.

Vous traitez désormais d’autres matériaux ?

A. de V. : À la demande de clients, je me suis lancé dans le recyclage du gobelet. C’est à peine avouable aujourd’hui, mais j’aime la matière plastique. Il y en a deux types : pour le chaud, c’est du polystyrène ; pour le froid, du polypropylène. Le recyclage du plastique est un secteur compliqué, car il y a des matières que l’on ne peut pas mélanger.

Dans 20 % des structures, les collaborateurs ne suivent pas les consignes et mélangent tous les déchets. Il faut donc nettoyer, séparer avant d’envoyer dans une usine de la Sarthe où le tout est broyé, fondu et extrudé avant de repartir dans l’industrie du plastique.

Je me suis lancé par la suite dans le recyclage des mégots. En France, il y a environ 40 milliards de cigarettes fumées, c’est énorme et paradoxalement il n’y a qu’une seule usine en France, “MéGO !”, qui les recycle. Et là, le taux de recyclage est dérisoire. C'est surtout très coûteux. Le filtre des mégots est dépollué, c'est de l'acétate de cellulose avec lequel on en refait principalement du mobilier urbain, parce que c’est un plastique qui reste de couleur marron.

Plus récemment, je me suis orienté vers le recyclage des masques à usage unique. La barre de fer sur la partie bleue part à la ferraille et le reste de la partie bleue, du polypropylène, est broyé et extrudé à Angers.

Comment se passe votre rapport avec les entreprises ?

A. de V. : Le recyclage est un milieu difficile. Les interlocuteurs se positionnent très vite en personne qui sont sensibilisés à la question, prêts à payer. Ce n’est pas la réalité. J’essaie d’expliquer aux entreprises que c’est un investissement qu’ils peuvent valoriser, ça peut être un plus énorme auprès de leurs clients ou auprès de leurs actionnaires, mais parfois j’ai l’impression de vendre des airbus. Je peux mettre des mois à signer un contrat à 2 000 euros par an, parce qu’il y a une résistance terrible à payer pour du recyclage. C’est un vrai problème, il y a encore un nombre important de PME en France qui ne recyclent pas, tout part à la benne, puis à l’incinération. Pourtant, le circuit que je propose est un circuit sécurisé et confidentiel.

Pourtant il y a une loi qui oblige les entreprises à recycler. Pourquoi n’est-elle pas appliquée ?

A. de V. : Il y a effectivement une loi qui a été publiée, avec les décrets d’application, en mars 2017, qui est la loi des cinq flux qui oblige toutes les entreprises de plus de 20 salariés à recycler le papier, le verre, le bois, le plastique et le fer. Le problème avec cette loi, c’est qu’il n’y a ni contrôle ni sanction. Quand la loi est sortie, je me suis dit « génial, ma fortune est faite ». Je suis allé voir les gens en leur disant qu’ils n’avaient pas le choix et ils me riaient au nez en me disant qu’il n’y avait de toute façon aucun contrôle. Au-delà des entreprises, on touche aussi à une volonté politique. On veut interdire le plastique, mais j’aurais préféré qu’on pousse au recyclage, il y a des filières qui existent pour cela. Il y a aussi un souci avec le coût du pétrole. Quand il est très élevé, le recyclage tourne à fond, mais quand le pétrole baisse trop, il faut des subventions pour que cela reste compétitif, sinon personne n’aurait intérêt à acheter du plastique recyclé. Donc quand je vois cette loi qui n’est toujours pas appliquée, je me demande quelle est la vraie volonté politique. La réalité ne suit pas.

Au moment de la transformation, tout est recyclé ou une partie est-elle brulée ?

A. de V. : Pour le papier, rien n’est brûlé. Les mégots de cigarettes, c’est différent car ce qui est intéressant, c’est le filtre. Pour ce qui est du reste, avec le papier et le tabac, étant donné qu’ils contiennent près de 400 polluants, il est possible que ce soit brûlé ou que ça parte au compost. Le plastique est totalement recyclé, mais c’est compliqué, notamment pour le plastique composite. Pour les masques, par exemple, l’élastique n’est pas recyclé.

Le marché du papier est sous haute tension en ce moment.
À quoi est-ce dû, selon vous ?

A. de V. : Je pense qu’il faut plutôt s’interroger sur la filière bois parce que le problème vient de cette filière qui n’en fournit pas assez. On a également un vrai problème avec la Chine dans le milieu des déchets. Le pays a fermé ses ports en 2017 à tous les déchets européens. Et depuis cette date, c'est difficile à gérer, puisque tout ce qui était trié auparavant grâce à une main d’œuvre humaine, ne l’est plus aujourd’hui. Désormais ce sont les incinérateurs qui tournent à fond, ce qui n’arrange pas l’état de la planète, à moins de dépolluer les fumées, ce qui se fait peu, car le processus est complexe. Et puis, la Chine a une consommation de bois très importante et crée sur le long terme des difficultés d’approvisionnement en Europe. D’autant plus qu’en France, nous avons très peu d’usines de transformation donc la valorisation de la matière ne se fait pas sur le territoire et ça, c'est vraiment regrettable. Par conséquent, j'imagine que ça joue également sur le papier.

Ressentez-vous une prise de conscience sur l’importance écologique depuis la crise sanitaire ?

A. de V. : Je n’y trouve aucun lien. En dehors des problématiques liées au climat, on ne peut pas juste bazarder les déchets, tout peut avoir une deuxième vie. Le recyclage est une question de volonté donc je ne pense pas que ce que l’on a vécu avec la pandémie ait eu un impact ou une prise de conscience quelconque, en tout cas pas directement.

Quel est l’avenir pour les Recycleurs des Mureaux ? Quelles sont vos ambitions ?

A. de V. : Je n’ai pas forcément pour ambition de travailler avec une tour de la Défense, je ne dépasse pas les entreprises dont les effectifs sont supérieurs à 400 personnes, sinon je ne pourrais plus gérer. De toute façon, toutes les grandes structures sont équipées en recycleurs. En revanche, j’ai quand même envie de me développer. Le marché et la concurrence sont énormes. La France est tellement en retard sur le recyclage. Je suis désespéré de voir qu’aussi peu de gens se sentent concernés, surtout que les enjeux financiers ne sont pas très élevés. Les charges de recyclage ne sont pas importantes, finalement. Alors, pourquoi tant de résistance ?

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